
Comment devient-on chaman ? Doit-on être reconnu, peut-on le décider soi-même ? Cette question est de celles que l’on me pose le plus souvent au sujet du chamanisme.
Pour y répondre, je prends le temps d’expliquer, de nuancer, de détailler, d’éviter les généralités et les préjugés, de ne parler que de mon expérience que je mets en perspective avec d’autres prismes tant sont nombreux les raccourcis sur cette question.
Il y a tant de formes de chamanisme dans le monde. En Mongolie, les chamans (qu’on appelle les relayeurs) incorporent le message de leurs ancêtres. En Amazonie, les Pajés chantent les Icaros pour accompagner l’œuvre de la plante mère. Aux Philippines, les guérisseurs aux mains nus sont assimilés aux chamans. On parle aussi des chamans pour évoquer les hommes médecines ou les Sun Dancers d’Arizona. Dans notre tradition celte, il n’est pas question de chamanisme, mais de druidisme, même si dans la pratique, beaucoup de similitudes relient ces voies. Aujourd’hui, des occidentaux associent la naturopathie, l’art, l’énergétique pour créer une forme de néo chamanisme pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur si l’intention est de devenir plus sensible, plus à l’écoute des esprits et d’apprendre toujours humblement auprès de chaman authentiques, pour le pire si ce néochamanisme s’appuie sur une simple appropriation culturelle.
Dans le chamanisme traditionnel, deux points sont incontournables : Il doit exister une réelle communication avec les esprits et il est important de se relier à une tradition. Les traditions se perpétuent depuis des siècles. Ce n’est pas le chaman qui s’autoproclame, mais les anciens, ou d’autres chamans plus expérimentés qui reconnaissent l’aspirant chaman.
Sans respect de la tradition, sans lignée, le chamanisme aurait disparu depuis longtemps. Or, il perdure depuis des millénaires car les chamans respectent leur tradition.
Je me sens la responsabilité, depuis le succès de mon livre Réveillez le chaman qui est en vous, de détailler combien il faut de discernement et d’honnêteté pour répondre à la question de l’initiation au chamanisme. Surtout dans cette période moderne et d’autant plus en Occident où nous nous sommes éloignés des voies spirituelles de nos ancêtres.
Il est nécessaire de suivre des études de médecine pour être médecin. Il faut suivre une spécialité pour être dentiste, gastro-entérologue ou dermatologue et il serait dangereux de s’improviser cardiologue simplement parce qu’on a son cœur ouvert.
Pour autant, on peut prendre soin de sa santé en soignant son alimentation, en pratiquant des activités physiques, ou en s’harmonisant à son environnement. On peut apprendre à se maintenir en bonne santé, sans se prétendre médecin. De la même façon, on peut explorer le chamanisme sans se dire chaman. On peut apprendre à renforcer ses liens avec l’invisible, développer son intuition, apprendre à se protéger énergétiquement. C’est une forme d’autonomie spirituelle, que nous gagnons à acquérir comme on gagne à acquérir l’autonomie intellectuelle, émotionnelle, affective et matérielle.
Beaucoup, parce qu’ils ont de l’intuition, parce qu’ils captent le message des défunts ou des animaux, parce qu’ils soignent les verrues avec les mains, ou parce qu’ils jouent du tambour dans la forêt s’auto proclament chaman et prodiguent des soins à ce titre. Tant veulent devenir chaman.
En Mongolie, découvrir qu’on est chaman est la pire des punitions, cela demande de s’engager sans ménagement sur un chemin d’humilité et d’apprentissage qui va durer des années. Être reconnu chaman par les oracles, c’est abandonner le confort d’une vie tranquille, pour dédier sa vie aux esprits.
Grand-Mère Ayengat était à nouveau notre invitée cette semaine. Elle nous a raconté en détail son apprentissage. Elle nous a partagé combien elle a résisté à incarner cette fonction. Mais sa petite fille venait de décéder, son fils est tombé malade et les différents chamans qu’elle consultait en Mongolie lui on prédit un sombre avenir pour elle et sa famille si elle n’acceptait pas de relayer l’esprit de ses ancêtres en étant chamane à son tour. Elle a fini par accepter. Son apprentissage a été sans concession. Elle a appris de jour comme de nuit, été, comme l’hiver à moins quarante degré, seule dans les plaines de Mongolie, à se rendre au pied de montagnes ou au bord de rivière que lui désignait ses ancêtres. Elle a étudié en détail le corps humain, les corps énergétiques, les différentes classes d’esprit. Ses oracles l’ont envoyé chamaniser à différents endroits sacrés du monde pour se renforcer et renforcer sa connexion avec ses ancêtres. Elle a écrit à ce jour trente livres et supervise environ cinquante chamans en Mongolie. Elle oeuvre sans relâche. Depuis notre première rencontre en Mongolie, elle a ma confiance, ma gratitude et ma reconnaissance.
Lorsqu’elle a retrouvé ma lignée familiale il y a quelques années et m’a demandé d’incorporer mes ancêtres, c’était une surprise autant pour elle que pour moi. Pour elle car j’étais le premier étranger non mongol qu’elle initiait et pour moi, car si j’avais une connaissance du chamanisme depuis vingt ans, je ne soupçonnais pas la richesse et la pertinence des informations que peuvent nous transmettre nos esprits alliés.
Nos ancêtres, nos guides, nous enseignent à maintenir une vie équilibrée dans nos foyers et dans nos cités. Ils sont à la fois d’un amour infini et d’une exigence qui force notre humilité.
La question essentielle que nous gagnerons à nous poser n’est plus ‘’suis-je vraiment chaman’’ ni ‘’quel est mon animal totem’’, mais comment puis-je prendre soin au mieux de mes proches, de mes semblables et de l’environnement dans une période où notre monde est si fragilisé.
Plus claire sera l’honnêteté de notre intention, plus claire sera la réponse que nous recevrons.
Il est temps de nous mettre en action pour restaurer ce lien fragile et impalpable qui nous relie entre la terre et le ciel pour redonner à cette humanité toute sa beauté
Arnaud Riou
