Maitre guru

La France a gagné, mais je ne partage pas cette victoire. Je la trouve tellement triste. Peut-être suis-je trop sensible…

L’équipe de France a gagné, hier soir, son match contre les anglais, en quart de finale de la Coupe du Monde. C’est probablement un bel exploit sportif ! Mais rien à faire, je ne parviens pas à me réjouir d’un spectacle aussi majestueux qu’il soit, dès que je vois l’envers du décor.

Je ne peux m’émouvoir des singes qui tournent en rond dans leur cage, même si ça fait rire les enfants. Je ne parviens pas à acheter des vêtements bon marché et bien emballés, si je sais qu’ils ont confectionnés par des prisonniers chinois, à l’autre bout de la planète. Je ne prends aucun plaisir dans un bon restaurant, si je suis prévenu du cauchemar en cuisine.
C’est comme ça… J’ai besoin de contextualiser mes actions, d’avoir une vue d’ensemble, d’établir les liens, de prendre, le mieux que je peux, mes responsabilités. C’est ainsi que je trouve un semblant de congruence.
Pourtant, j’aime le sport, j’aime voir des équipes se dépasser. Je ne suis pas amateur de foot, mais j’ai pris plaisir à voir de jolis matchs. Je reconnais le génie de certains joueurs. J’aime l’esprit de compétition, quand c’est pour la beauté du geste. Mais pas à n’importe quel prix
Pour accueillir ce Mondial, le Qatar a construit des stades climatisés au milieu du désert. Plusieurs centaines d’ouvriers ont perdu la vie sur les chantiers. Je ne peux me réjouir de ces conditions d’esclavage moderne et de la banalisation des labors camps, dénoncés au Qatar par Amnesty International
Je ne peux me réjouir de cette aberration écologique, alors que les rapports du GIEC ne cessent de nous alerter, année après année.

Cette victoire ne m’inspire rien de bon.

Pourtant, j’aime célébrer, mais je célèbre les véritables victoires ! Celles de l’humanité sur elle-même ! Celles de l’homme qui devient, un jour plus conscient, plus sensible, plus cohérent. L’homme qui accepte ses erreurs et s’autorise à faire marche arrière, quand il reconnaît qu’il s’est trompé. Je me réjouis, quand je reçois des signaux forts, authentiques, de mes contemporains qui prennent soin de notre Terre et de notre humanité, et ils existent !
Quel signal envoyons-nous à la communauté internationale en participant à une telle comédie ? Quel signal aux générations futures, qui n’ont jamais été aussi anxieuses !

‘’Il ne faut pas tout mélanger’’, nous a dit notre président. ‘’Il ne faut pas gâcher la fête ! Dans cette période de crise, nous avons besoin de nous amuser’’. Il est temps justement de réaliser l’impact de nos gestes les plus quotidiens, de prendre nos responsabilités, de prendre de la hauteur, pour réaliser qu’une victoire ne peut être que globale, sinon, elle cache un autre échec.
Les victoires de l’argent et des plaisirs faciles ne seront jamais une victoire de l’humanité. Elles nous soulageront un temps, mais ne nous nourrissent pas en profondeur, dans notre quête de sens, d’humanité et de cohérence.

Après le Qatar, l’Arabie Saoudite a été désignée pour organiser les Jeux Olympiques d’Asie, d’Hiver en 2029 et le projet Neom, qui aura lieu sur les bords de la mer rouge, coûtera plusieurs centaines de milliards de dollars. Pour gouverner, donnez-leur du pain et des jeux, lançait Juvénal, l’auteur des Satyres vers 100 après JC. Désolé, de ne pas participer à ce festin, mais je ne mange pas de ce pain-là.

Arnaud Riou