LE CHAMANISME MODERNE
Cela fait dix ans que mon livre Réveillez le chaman qui est en vous est sorti en librairie. En devenant best-seller, cet ouvrage a rencontré un succès qui nous a honorés, mais surtout a confirmé l’intérêt croissant du public pour cette approche spirituelle magnétique, mais pas toujours comprise.
Depuis sa sortie, on m’interroge régulièrement : “Sommes-nous tous chamans ?”, “Qu’est-ce que réellement le chamanisme ?”, “Comment le pratiquer lorsque nous vivons en ville ?”, “Doit-on parler de chamanisme, ou de néochamanisme ?”, “Comment se détacher de l’effet de mode, des faux chamans et de l’appropriation culturelle ?”
À l’occasion de l’anniversaire de cet ouvrage, je souhaite partager avec vous ces réflexions.
Définir le chamanisme
Il est tellement complexe de résumer le chamanisme en quelques lignes, tant les pratiques sont différentes d’un continent à un autre, d’une époque à une autre.
“Chaman” est un mot générique qui est utilisé pour évoquer les Pagés d’Amazonie, les “relayeurs” de Mongolie, les hommes-médecine et les femmes-médecine, les Sun Dancers d’Arizona, et tant de guérisseurs, mages, sur la planète. Par extension aujourd’hui, on remarque que les pratiques des chamans sont très proches de celles des sorcières, des druides, mais parfois, des médiums, des channels. Le public souvent peine à s’y retrouver entre les différents stages, cercles, retraites, initiations.
Origine du chamanisme
Depuis le Paléolithique inférieur, les premiers hommes n’ont cessé de se tourner vers les esprits, aussi bien pour demander la protection, l’inspiration, que pour accompagner les rituels funéraires. Les premiers rituels funéraires remontent à plus de 120 000 ans et sont attribués à l’Homme de Néandertal.
Le chamanisme primitif dans ses premières élaborations remonterait à environ 40 000 ans. Il est à l’origine des principales voies d’éveil : le chamanisme, l’hindouisme, le bouddhisme, le christianisme et le taoïsme. On retrouve des traces des premières formes de chamanisme aussi bien en Asie centrale, en Sibérie, en Mongolie, qu’en Amérique, en Australie, en Afrique, en Océanie.
Dans son histoire, le chamanisme n’a cessé de côtoyer d’autres formes de spiritualité, à l’image du chamanisme bön, à l’origine du bouddhisme tibétain, ou du Dzogchen. Du Tibet à la Mongolie, bouddhisme et chamanisme n’ont cessé de se côtoyer, de se superposer et de se succéder à tel point qu’il est bien difficile de retrouver l’origine de certaines pratiques comme l’incorporation des esprits, certains rituels de feu et autres pujas de purification qui animent les cérémonies spirituelles aussi bien bouddhistes que chamanistes depuis des millénaires. Les lamas sont parfois aussi des chamans.
Quelle est la fonction des chamans ?
Les chamans ont pour fonction essentielle d’être les intercesseurs entre le monde visible et le monde invisible. Ils sont connectés aux esprits. Ils dialoguent ainsi avec l’esprit des plantes en Amazonie, ou avec les Ongod, esprits tutélaires de lignée familiale en Mongolie.
Inspirée par le message des esprits, leur fonction consiste avant tout à rétablir l’équilibre entre les règnes, à soigner, à prédire, à protéger, à enseigner. Ils sont les gardiens de la Terre.
Mais avant de prendre soin des autres, le chaman doit s’engager dans un parcours personnel terriblement exigeant qui l’amène à déconstruire ses certitudes, découvrir d’autres réalités, ouvrir son cœur et augmenter son pouvoir.
Qui peut reconnaître le chaman ?
Cette question est une préoccupation surtout dans nos cultures modernes. Dans toutes les traditions ancestrales, ce sont les esprits qui reconnaissent le chaman. Par là même, ce sont les anciens, les chamans, qui reconnaissent chez une personne ses dispositions. Ce n’est qu’à partir de cette reconnaissance que peut commencer un parcours de transformation long et exigeant. Que ce soit en Mongolie, en Sibérie, ou en Arizona, ce n’est pas un cadeau d’être reconnu chaman ! Et beaucoup d’élus préféreraient se cacher pour ne pas s’aventurer dans cette voie intransigeante.
Cela pose la question du chamanisme en Occident. Il n’existe aujourd’hui aucune structure habilitée à reconnaître qui est chaman et qui ne l’est pas. Cela encourage autant certains à s’autoproclamer chaman à l’issue d’un stage d’un week-end. Cela en décourage aussi d’autres, dotés de fort potentiel, n’osant pas l’utiliser, se sentant illégitimes. Sur ce thème comme sur d’autres, l’humilité, l’honnêteté, le discernement nous permettent de répondre à cette question.
Sommes-nous tous chamans ?
Je ne cesse depuis dix ans de répondre à cette question de la même façon. Nous pouvons tous aujourd’hui apprendre à nous maintenir en bonne santé. Nous pouvons adopter une alimentation saine, faire de l’exercice, nous soigner.
Cela ne fait pas de nous des médecins. Nous pouvons tous partir randonner dans la neige, cela ne fait pas de nous des guides de haute montagne. Ainsi, nous pouvons tous apprendre à développer notre sensibilité, comprendre les lois universelles de l’harmonie et de l’énergie.
Nous pouvons tous activer notre pouvoir de guérison, communiquer avec nos guides et nos esprits tutélaires, en un mot, nous pouvons tous pratiquer le chamanisme, cela ne fait pas de nous des chamans.
D’où vient cet engouement pour le chamanisme ?
Aujourd’hui, si le chamanisme répond à tant d’attentes et attire autant, c’est au moins pour quatre raisons.
- Il nous permet de nous relier à notre dimension spirituelle et ainsi de redonner du sens à notre quotidien, à nous ouvrir à une dimension plus large.
- C’est une voie qui n’est pas dogmatique, qui passe par l’expérience et l’introspection davantage que par une foi aveugle.
- Le chamanisme nous connecte à nos origines, à nos ancêtres, à notre source. En ce sens, il nous enseigne.
- Le chamanisme est particulièrement relié aux esprits de la nature.
Être médium, c’est être chaman ?
Beaucoup de disciplines sont liées au chamanisme. Pour autant, le fait de les pratiquer ne fait pas de nous un chaman. Un channel, ou un médium qui se relie à l’esprit des défunts, pratique une forme proche du chamanisme. Un guérisseur qui utilise le pouvoir des mains, ou celui des sons, s’approche du chamanisme. De nouvelles approches comme la transe, la danse médecine, ou même la réactivation de la kundalini s’apparentent, par endroits, au chamanisme. De même, les constellations familiales qui font appel aux ancêtres sont une forme d’incorporation proche du chamanisme.
Chamanisme d’hier et d’aujourd’hui
Le chamanisme avant tout nous enseigne à nous relier à notre environnement, à nous adapter à lui, et à apprendre de lui. En ce sens, les connaissances des neurosciences, de la physique quantique, de la transe cognitive, et même de voies de développement personnel contemporaines et de psychologie positive enrichissent notre compréhension de nous-mêmes et de notre environnement. Pourquoi ne pas s’en inspirer, apprendre d’elles. Le chamanisme tel qu’il est pratiqué dans beaucoup de régions du monde est toujours en évolution. Il a ses forces et aussi ses faiblesses. Il ne faudrait pas croire que la simple visite auprès d’un chaman peut nous soigner de toutes nos maladies, dissoudre notre mal-être existentiel. Le bonheur, la paix, la congruence, l’alignement sont les voies d’une vie qui exige de nous honnêteté, patience et humilité. Mettre le chaman sur un piédestal, chercher à tout prix à rencontrer un chaman lors d’un voyage en Mongolie est une façon de nous dédouaner de notre propre responsabilité dans notre parcours de guérison.
Vers une cohabitation du chamanisme ancien et du chamanisme moderne
Bien sûr, plutôt que de passer son temps à nous opposer, nous pouvons chercher ce qui rassemble. Les chamans eux-mêmes, parfois quand ils ont une migraine, sont heureux quand on leur propose un cachet d’aspirine ! Plutôt que d’opposer médecine conventionnelle et médecine non conventionnelle, nous pouvons les réunir, nous inspirer du meilleur de chacune d’elles pour œuvrer vers une médecine intégrative.
La prophétie de l’Aigle et du Condor
Dans mon livre la Prophétie de l’Aigle et du Condor, je décris combien la période que nous vivons est riche et complexe. Une prophétie de plus de six mille ans nous raconte que le monde est gouverné en alternance par l’Aigle et le Condor. Le Condor est l’oiseau des peuples premiers.
C’est l’oiseau des peuples-racines qui nous encourage à la spiritualité, à l’écoute intérieure, à la puissance du cœur. L’Aigle est l’oiseau des peuples du nord, de la découverte, de l’étude et de la recherche extérieure. Il est dit dans cette prophétie que l’Aigle et le Condor alternent leur gouvernance tous les cinq cents ans. Nous vivons actuellement le retour du Condor.
C’est une période qui nous invite à ouvrir notre cœur, nous relier, honorer les esprits. Il est dit aussi dans cette prophétie qu’à chaque changement, l’Aigle et le Condor se partagent le ciel le temps de la transition. Si nous les opposons l’un à l’autre, nous vivrons dans un monde de chaos et de conflits. Si nous apprenons en revanche à recevoir humblement autant les enseignements de l’Aigle que ceux du Condor, nous nous préparons à vivre un règne de félicité.
Peut-on s’improviser d’une tradition ou d’une autre ?
Certains se sentent très attirés par la culture mongole, ou par la culture amérindienne. Aujourd’hui, il est facile de s’acheter un tambour et des plumes. Pourtant, pratiquer dans une tradition demande à avoir été sérieusement formé à cette tradition, supervisé et autorisé à la transmettre. Dans beaucoup de traditions des natifs américains, par exemple, chaque exploit, chaque épreuve était récompensée par une plume d’aigle. C’est au nombre de plumes que l’on reconnaissait la vaillance d’un chaman. Que dire alors de ces Occidentaux qui se coiffent de plumes pour se donner un air plus exotique. Aujourd’hui, la richesse de notre époque est notamment de nous permettre de rencontrer différentes traditions qui étaient inaccessibles hier. Mais ces pratiques demandent encore plus d’honnêteté, de transparence et d’humilité.
Comment pratiquer le chamanisme en 2024
Comment contacter les esprits de la nature quand nous vivons en ville ? Comment, pour un chaman français, pratiquer les soins de guérison sans attirer les foudres de l’Ordre des médecins et risquer la prison pour exercice illégal de la médecine ? Le chaman doit-il faire payer ses soins, ou se faire dédommager avec un poulet et quelques graines ? Comment partager ses visions sans être traité d’illuminé ? Comment présenter son art et ses rituels sans être inquiété de dérive sectaire ?
Depuis toujours, le chaman partage autant dans la transparence que dans la discrétion. Il apprend à composer. Nous devons savoir vivre avec notre temps, tout en recevant le message de nos ancêtres. De tout temps, les chamans ont été poursuivis, malmenés, enfermés, brûlés. Ils s’étaient presque éteints en Mongolie. Ils sont encore menacés dans tant de régions du monde.
Chamanisme ou néochamanisme
Alors chamanisme ou néochamanisme ? Notre société occidentale aime les titres, les appellations, les définitions. Le chaman ne s’encombre pas de ces étiquettes. Il œuvre humblement et discrètement.
À mes yeux, chercher à définir ce qui est le chamanisme et le néochamanisme n’a aucun sens. Comme cela n’a aucun sens de parler de rituels et de néorituels, de méditation, et de néoméditation. Néo signifie nouveau. Mais nous n’avons rien inventé.
Le lama expérimenté et le jeune pratiquant partagent tous les deux la même méditation. L’un est simplement plus expérimenté que l’autre. Il est prudent alors de recevoir les enseignements du premier et de laisser l’autre se former.
Parle-t-on de musique et de néomusique ? De cuisine et de néocuisine ? D’art et de néoart ? Il n’y a que la musique, la cuisine et l’art.
Si parfois dans l’histoire, la musique a été d’une richesse que la musique moderne est loin d’égaler, la musique reste de la musique, reflet de son temps.
Nous pratiquons toujours le chamanisme que nous méritons. De mon côté, je continuerai à le pratiquer, à le transmettre, à le partager. Sans me soucier des étiquettes. Le chamanisme est une voie holistique qui nous permet de mieux prendre soin de nous pour pouvoir nous engager à mieux prendre soin des autres. N’est-ce pas là le principal ?
Arnaud Riou