Monsieur le Président,

Vous avez déclaré à six reprises lors de votre allocution – et les ministres de votre gouvernement répètent depuis quotidiennement ce terme – que notre pays était en « guerre ».

Le sommes-nous vraiment ?

Dans toutes les situations d’urgence, le langage est essentiel pour transmettre un message à la communauté, et grande est la responsabilité des dirigeants dans l’utilisation du verbatim adéquat. Chaque mot doit être choisi avec soin, car il aura ses conséquences. C’est une responsabilité souvent proportionnelle à nos fonctions que de trouver les mots justes. C’est un exercice délicat.

Une guerre est une lutte armée entre deux ou plusieurs États. Plus ou moins officiellement, une guerre débute par une déclaration et se conclut par un armistice ou une abdication. Elle est la plupart du temps le fruit d’un échec diplomatique.

Par extension, meurtris par les attentats, nous avons élargi l’application du mot et sommes partis en « guerre » contre le terrorisme, contre la pauvreté, contre les pesticides. Votre prédécesseur avait déclaré la « guerre » contre le monde de la finance.

À les utiliser trop facilement, les mots-chocs perdent leur sens et leur impact. Quel vocabulaire adopteriez-vous si demain la France rentrait en conflit armé contre d’autres États et que vous deviez mobiliser la nation ?

Peut-on déclarer la « guerre » contre un virus ? Un virus est un organisme qui ne peut vivre et se multiplier qu’en parasitant une autre cellule vivante. Les virus existent depuis la nuit des temps. Ils ont contribué à la vie sur Terre et à l’émergence de la biodiversité sur notre planète. En ce sens, nous devons apprendre à vivre avec eux.

Bien sûr, nous classons certains virus comme pathogènes dès qu’ils affectent notre système de santé. Nous pouvons alors apprendre à nous en protéger comme à les éradiquer. C’est parfois long et complexe tant un virus apprend lui aussi de notre intelligence.

L’épidémie du coronavirus nous a tous surpris, même si certains scientifiques jurent avoir prévenu le gouvernement dès janvier. Qui pouvait imaginer, alors que votre ministre de la santé déclarait il y a peu que le risque de contamination en France était quasiment nul, que le pays entier serait en confinement moins de 60 jours après cette déclaration ? Qui pouvait imaginer, alors que tant de scientifiques nous rassuraient sur la relative dangerosité du COVID 19, que l’armée serait appelée en renfort pour instaurer le couvre-feu dans certaines villes et que les supermarchés seraient dévalisés de leurs produits de première nécessité ? Comme en temps de guerre. Était-ce l’effet escompté ? Car le souvenir ou l’évocation de la guerre provoque ou réveille dans l’inconscient collectif les peurs les plus archaïques et les réflexes les plus égoïstes.

Si nous ne sommes pas en guerre, nous vivons en revanche une crise sanitaire majeure qui demande du discernement, une pédagogie, une transparence dans l’information, et des moyens très importants pour être contenue, pour en éviter la propagation et soigner au mieux ceux qui sont malades. Par l’éradication de cette épidémie, nous sommes tous concernés, tous impactés, et devrons donc être tous solidaires.

Le vocabulaire est essentiel. Une « guerre » implique des généraux, des militaires, des soldats qui risquent leur vie. L’évocation de la guerre provoque des états de panique, des comportements irrationnels, la perte de repères de bon sens, l’abandon de notre libre arbitre. Un état de guerre permet au chef des armées d’imposer des lois liberticides qui se distillent naturellement et parfois durent plus que de nécessaire. La plus grande partie de la population, dépassée, fait confiance à son chef des armées. Vous l’avez vu, votre cote de popularité a gagné 13 points en un mois. Une nation dans la peur a besoin d’un véritable chef. Plus le chef est autoritaire, plus le peuple se soumet. Ou se rebelle. Une guerre génère aussi de la résistance, de la collaboration, de la délation. C’est sa nature, puisqu’en essence, nous entrons en guerre contre quelqu’un et non avec lui. Nous cherchons l’ennemi, nous cherchons à vaincre, à triompher, à mettre le virus hors d’état de nuire.

Nous ne sommes pas en guerre, nous traversons une crise sanitaire majeure. Sans aucun doute la plus importante depuis des décennies. Le personnel soignant fait plus que de son mieux et avoue déjà son impuissance et ses limites à moins d’une semaine du début d’un confinement qui pourrait durer encore plusieurs semaines.

Ce même personnel soignant qui alerte depuis des mois sur son manque de moyens. Alors que 1 600 médecins et chefs de service annonçaient leur démission il y a trois mois, exténués, découragés. Alors que des images d’infirmières gazées lors de manifestation faisaient la une des journaux, étions-nous en « guerre », alors ? Les soignants ont-ils reçu les moyens qu’ils demandaient à ce moment ?

La crise que nous traversons dépasse le simple coronavirus. C’est une crise sanitaire majeure qui touche tout notre système de santé et va affecter durablement notre économie, notre géopolitique, notre rapport à la santé, à la famille, à l’éducation. Nous comprenons mieux chacun la métaphore de l’effet papillon qui nous rappelle que les battements d’ailes d’un papillon dans la forêt amazonienne ont des répercussions dans le nord de l’Islande. Nous avons pu voir que la consommation dans une province chinoise d’un animal protégé et hautement symbolique a des répercussions sur l’économie mondiale et la consommation de pâtes italiennes dans les provinces françaises. Nous sommes tous liés. Il n’y a pas d’ennemis à l’extérieur.

La particularité d’une crise, c’est qu’elle est nécessaire. Il existe un idéogramme en Chine pour écrire le mot crise. Cet idéogramme associe deux notions : celle de danger et celle d’opportunité. Une crise est ainsi une opportunité d’amélioration.

Déjà, un mois de confinement nous a permis de baisser le niveau de CO2 de 6 %, de soulager la terre, l’air et les océans qui étouffaient. Rappelons que la pollution est responsable de 800 000 morts par an en Europe et de 9 millions dans le monde chaque année.

La crise que nous traversons est une opportunité douloureuse, insupportable pour beaucoup, mais nécessaire pour tous pour considérer que nous arrivons à la fin d’un cycle. Dans ce nouveau cycle, nous devrons mieux rétablir les liens entre nos différents systèmes, le système de santé, celui de l’écologie, celui de l’économie.

Dans une guerre, nous luttons contre, dans une crise, nous transformons avec.

La science l’a prouvé, la peur et le sentiment de séparation fragilisent notre immunité. Et c’est bien d’une immunité forte que nous avons besoin. Celle-ci ne naît pas dans la guerre, elle naît dans la conscience – dans la confiance et dans la paix.

Compte tenu de votre charge et de votre impact, je forme le vœu que vous sachiez toujours trouver les mots justes pour nous rappeler que nous sommes en paix. Une paix qui demande de la vigilance, du discernement, de la discipline, de la conscience et de la responsabilité, et que c’est justement parce que nous développerons la paix en nous et autour de nous que nous ferons l’expérience de la guérison.

Non pas contre, mais ENSEMBLE.

Arnaud Riou
22 mars 2020