Qui est responsable de cette violence?

Au lendemain de la grande manifestation des Gilets Jaunes du 1er décembre, les images de l’Arc de Triomphe saccagé tournent en boucle.

En marge du cortège, des casseurs y ont pénétré et ont détruit une partie de son mobilier. L’anonyme qui avec un extincteur a cassé cette moulure, a-t-il seulement reconnu le visage de Marianne, détail de la statue « Le Départ des volontaires » ?

Le président Macron a déclaré ce matin que les responsables de ces violences seront retrouvés et punis. Il a également rappelé qu’il acceptait la colère des manifestants, mais non leur violence.

Ainsi, la violence serait le prolongement de la colère ? [espace]Dans mon expérience, elle ne l’est pas. La violence n’est pas le prolongement de la colère, mais le prolongement d’une colère réprimée, étouffée à force de petites frustrations quotidiennes et d’humiliations insupportables qui un jour, de façon imprévisible, explosent comme une Cocotte-Minute oubliée sur le feu.

Cela fait tant de mois que sont visibles les signes de saturation de cette France qui compte chaque euro pour faire ses courses, de ses infirmières qui pleurent de ne plus pouvoir exercer dignement un métier qu’elles ont choisi, de ses chômeurs ou petits retraités, pour qui l’augmentation de quelques centimes d’un ticket de métro ou d’un litre d’essence déséquilibre le budget mensuel.

Le Président et son Premier ministre se disent prêts à recevoir les représentants de ce mouvement et écouter leur revendication. Mais il suffit de savoir enfiler un gilet jaune pour comprendre qu’il n’y a pas de représentants. Ce mouvement n’a rien de pyramidal ou de structuré comme peuvent l’être les syndicats ou les partis politiques. C’est un mouvement spontané, le mouvement du ras-le-bol, de la goutte d’eau, de la colère qui n’en peut plus d’être contenue.

Quelle négociation peut avoir lieu aujourd’hui tant il y a un décalage entre la détresse des Gilets Jaunes et les ors brillants des salons de la République ?

Bien sûr, je ne cautionne aucune violence. En toutes circonstances, j’encourage de tout mon cœur le dialogue, l’échange, la rencontre. Car la parole vraie, la prise en compte de l’autre sont les premières clés de la résolution d’un conflit. Nous ne sommes pas assez formés à cela, et trop de politiques manquent d’humilité et d’empathie pour comprendre le quotidien de ceux qui n’en peuvent plus.

Lorsque le dialogue n’est plus possible, lorsque les hommes et les femmes élus pour défendre nos valeurs deviennent arrogants, ou simplement insensibles aux plus fragiles d’entre nous ; lorsqu’il y a tant de distance entre la réalité des uns et celle des autres ; si aucun effort sérieux n’est fait pour rétablir le lien humain, alors oui, la fracture génère de la violence.

À qui en vouloir alors ? La pensée bouddhiste nous invite à méditer sur la loi du karma ou la loi de causalité. Chaque effet produit une cause et chaque cause provient d’un effet. Dans cette comédie, il serait bien manichéen de désigner le responsable ou la victime. Il y a une interaction permanente des uns et des autres. Lorsque l’homme se tient l’abdomen en sang, à qui en vouloir ? À celui qui a porté le coup ? À celui qui l’a encouragé à le faire ? À celui qui lui a fourni le couteau ? À celui qui l’a fabriqué ?

Si je trouve violent d’avoir brisé cette statue, symbole de l’unité de la nation, je trouve plus violent encore de poser 300 000 euros de moquette à l’Élysée, ou de dépenser plus de 800 000 euros d’argent public pour une simple visite en Nouvelle-Calédonie dans la semaine où des millions de Français manifestent dans la rue. Cette coïncidence peut être vécue comme une simple maladresse pour les uns, et comme une humiliation pour les autres.

Peut-être que ceux qui manifestent et bloquent les routes n’ont-ils simplement plus rien à perdre, et que leur honneur vaut mieux que le manque à gagner des journées de grève. Aujourd’hui, Le SMIC est à 1 149 euros net. On compte en France 5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (1050 €). Lorsque nous ne savons plus très bien qui nous sommes, nous pouvons nous comparer à l’autre et cette comparaison fait mal.

Il est facile de transmettre ses valeurs. Il suffit de les incarner soi-même. Je me souviens de ce dirigeant d’entreprise que j’accompagnais qui avait laissé sa place de parking devant l’entrée de l’entreprise pour faire « comme tout le monde ». On appelle cette qualité la congruence. C’est la qualité des véritables leaders d’opinion, à l’image de Gandhi dont le seul slogan « sois le changement que tu veux voir en ce monde » montrait par l’exemple que la meilleure façon de faire la paix dans le monde était d’œuvrer pour établir la paix dans son cœur. Et si la meilleure façon pour notre gouvernement d’inspirer la nécessité de l’économie était de l’incarner ? Les idées ne manquent pas pour faire des économies et restaurer le dialogue. Cela poserait d’autres symboles aussi puissants que cette Marianne en plâtre.

Les efforts demandés ont comme prétexte l’écologie. Il faut augmenter le gazole pour payer la transition écologique. Le croit-on ? Urgence écologique ou économique ?

La pyramide de Maslow, du nom d’un célèbre psychologue des années 40, met en lumière la priorité de nos besoins par ordre d’importance.

Comme une pyramide dont nous franchissons une à une chaque marche, tant qu’un besoin n’est pas satisfait, il n’est pas possible de monter la marche suivante.

Et la première marche représente nos besoins physiologiques. Tant qu’un individu n’a pas de quoi manger, il n’est pas possible de le sensibiliser sur l’écologie. Or l’essentiel de ceux qui sont descendus dans la rue avec ce gilet jaune comme signe de reconnaissance sont descendus car ils avaient faim.

Dans cette fameuse pyramide des besoins, vient ensuite le besoin de sécurité. Sécurité de préserver son emploi, de savoir que l’on peut soigner ses enfants. C’est parce qu’ils sont insécurisés que les Français descendent dans la rue.

S’ensuivent le besoin d’utilité, le besoin de reconnaissance et le besoin d’appartenance. L’écologie arrive à ce momentlà. Mais comment pouvons-nous nous reconnaître dans la quête d’écologie, quand la France autorise le Glyphosate et cette pétrochimie absurde et dangereuse ? Comment accepter ces microajustements dans les plus petites retraites quand le Gouvernement abandonne 4 milliards d’ISF et laisse échapper 100 milliards d’évasion fiscale la même année ? La violence naît de ceux qui, dans la rue, se sentent les plus défavorisés et blessés dans leur sentiment d’injustice.

Enfin, dans le haut de la pyramide de Maslow, le besoin d’évolution ? A-t-on évolué dans notre dialogue social depuis les manifestations de « Nuit debout » ? Totalement maladroites, ces rencontres avaient le mérite de ne pas accepter l’inacceptable, de se tourner vers d’autres possibles. Elles ont été à l’époque violemment réprimées et se sont essoufflées. Les inégalités se sontelles adoucies ?

Une expérience a été menée par des psychologues auprès d’une mère et son enfant de 10 mois. L’un et l’autre se tiennent face à face. Dans un premier temps, la mère répond aux sollicitations du bébé, elle rit avec lui. L’enfant est hilare. Puis la mère tourne le dos un instant, revient face à lui et reste totalement indifférente et immobile à ses mouvements. Au bout de 10 secondes, le visage du bébé est inquiet, puis, il panique au bout de 20, et il se met à crier et pleure au bout de 40 secondes. 40 secondes, c’est le temps qu’il aura fallu pour rompre le lien de confiance entre une mère et son enfant. Et un temps certain pour le restaurer.

Dans la période que nous traversons, le lien a été rompu en trop d’endroits. La confiance est affectée, meurtrie. La Fraternité s’est éteinte pour faire place à la compétitivité, au refus de l’autre. Il faudra un temps certain pour rétablir les liens.

Nous ne traversons pas une crise, mais une mutation. Cette mutation est profonde et organique.

Elle est systémique. Elle touche tous les systèmes simultanément. Le système financier, économique, écologique, d’éducation, culturel et spirituel.

Le vieux monde s’effondre. Comme il s’est effondré à la chute de l’Empire romain, ou des Ottomans. Ce vieux monde bâti sur des paradigmes d’un autre siècle.

Il est temps d’en finir avec cette recherche d’une croissance aveugle, pour la remplacer par une sobriété heureuse, encouragée et intelligente.

Il est temps de ne plus croire que nos ressources sont inépuisables. L’exploitation aveugle des ressources écologiques nous conduit à une catastrophe annoncée.

Il est temps d’en finir avec les systèmes encourageant l’arrogance et le mépris, temps d’en finir avec nos vieilles institutions monarchiques et pyramidales. D’autres modes de gouvernance, sophocratiques, holacratiques, qui se développent en entreprise depuis des années et qui s’appuient sur le dialogue et l’intelligence collective, ont assez fait leurs preuves pour qu’on accepte de dépoussiérer nos vieilles assemblées binaires et désertées où les représentants du peuple sont sousreprésentés et surpayés. Il existe déjà ici et là tant d’initiatives spontanées, de plateformes citoyennes qui sont déjà forces de proposition.

Il est temps d’en finir avec nos institutions misogynes et de rétablir un véritable équilibre du masculin et du féminin dans toutes les instances de pouvoir et de décision.

Ce changement prendra du temps mais il s’impose.

Puisque toutes les sagesses nous enseignent qu’il n’existe profondément, pour passer à l’acte, que deux moteurs l’amour et la peur peut-être pouvonsnous considérer que nous avons assez investi dans le pouvoir de la peur, peur de l’autre, peur du changement, peur du dialogue véritable, pour essayer cet autre pouvoir qui vient du cœur et qui manque tant dans les structures de notre démocratie.