Je passe la commande au restaurant. J’essaie de composer entre une salade du jour sans lardons et la sole meunière et sa fricassée de champignons sans le poisson…

Je suis perplexe. La carte me laisse assez peu de latitude. Nous avons choisi ce restaurant davantage pour sa vue sur la mer que pour ses spécialités. Le serveur est plus gêné que moi. Il m’avoue que je ne suis pas le premier à lui demander « ça ». Le chef n’a pas de menu végé. Même si les « végés » sont de plus en plus nombreux, nous ne restons encore qu’à peine 3 % en France.

Lorsque je lui dis que je ne mange pas les animaux, il me pose encore deux ou trois questions pour m’orienter dans mon choix.

« Nous avons un curry de poulet, ça irait ? Quoique les poulets, pour vous, c’est aussi des animaux ? »

Intérieurement, je souris chaleureusement. Je suis sensible aux efforts qu’il fait pour me comprendre. Cet homme me touche.

« Oui, pas seulement pour moi, pour sa maman aussi, et, je crois, pour toute la basse-cour, les poulets font partie du règne animal… Pour les poussins, pour le renard, les poulets sont des animaux et je ne mange aucun animal, qu’il vole, nage ou coure ! »

« Ah, vous êtes végétalien alors ! Pas végétarien ! » me précise-t-il très fier de lui en insistant sur le L qui remplace le R.

Pour ne pas l’ennuyer, j’hésite à entrer dans le détail et à lui expliquer la différence entre « végétarien » (qui ne mange pas de viande), « pesco végétarien » (qui maintient le poisson), « ovo-lacto végétarien » (qui maintient les œufs et les produits laitiers), « végétalien » (qui exclut tous les produits issus des animaux, miel compris) et « vegan » (qui ne porte ni chaussures en cuir ni bracelet de montre en peau de lézard, ce qui ne m’arrive pas non plus).

Du reste, pour être exact, je ne suis pas vegan. Je porte encore parfois mon Perfecto, et j’ai chez moi deux ou trois sacs dont les lanières sont en cuir. De plus, il m’arrive de temps en temps, lorsque mon ami Antoine va chercher dans son poulailler du Moulin des Bouillons deux œufs du jour pour les manger à la coque, de les partager, ne serait-ce que pour voir le beau sourire qui éclaire son visage enfantin devant la merveille de la nature. Il appelle chacune de ses cinq poules par son nom. Elles mangent bio et courent en liberté sur son domaine.

Je suis encore d’une autre catégorie ! Pour être exact, je devrais dire ponctu-ovo-Perfecto végétarien. Mais je préfère encore dire que je suis souple et que je mange ce qui me fait plaisir. Les puristes préciseront alors d’un air satisfait « Ah, alors flexi-végétarien ! » Car nous avons toujours besoin de mettre les gens dans des cases, ça nous rassure.

Tout ça n’est que des étiquettes. De mon côté, je ne ferai probablement pas la différence entre un romsteak et un filet mignon, entre le goût du bar et celui de la truite… Pour moi, ce sont des animaux morts, comme pour ce serveur, je suis un extra-terrestre.

Les premiers animaux que j’ai exclus de mon assiette, ce sont les chevaux il y a quarante ans lorsque j’ai fait le lien entre les juments que je voyais courir et le bifteck haché de la boucherie chevaline que je prenais encore plaisir à manger. Puis c’en fut progressivement fini par ordre de disparition des canards, des lapins, des veaux, des moutons, des bœufs, des poulets. Quelques années plus tard, je ne prenais plus de plaisir à manger de poisson. Il fallut encore quelques années pour que même les gambas, les pétoncles que je cuisinais à l’ail ou les coquilles Saint-Jacques n’excitent plus mes papilles.

Rien à faire. Cela fait trop d’années désormais que je n’aime pas sentir les animaux morts dans mon entourage, aient-ils le QI d’une huître.

Un vegan qui tue un moustique est-il toujours vegan ?

Un jour, je confiais à un ami que je ne tuais plus le moindre moustique ou la plus petite araignée depuis des années. Je préfère la sortir si elle me gêne. Ce que j’ai appris à faire sans lui blesser les pattes ! Il me dit « Quel effort ça doit être ! » Je lui répondis alors que pour moi c’était l’inverse. Ce qui me demande un effort, c’est d’enlever la vie, peu importe sur qui. Pour les chamans, nous sommes tous reliés les uns aux autres. Et lorsque la vie est coupée à un endroit, c’est aussi à travers nous que quelque chose meurt.

Les chamans ne sont pas pour autant végétariens, loin de là ! Les Mongols sont nomades et leur mode de vie ne leur permet pas de faire pousser les légumes, les Amérindiens, eux sont des trappeurs chasseurs, ils sont carnivores par nature. Mais je suis toujours honoré de partager leur table, car ils incarnent le respect. Et s’ils tuent un animal pour le manger, ils se relient toujours en conscience à son esprit. Ils savent ce qu’ils font.

Le respect de la conscience animale est primordial pour moi. Car respecter l’animal, que l’on soit vegan ou trappeur, c’est signe de sensibilité, d’écoute, de dignité. Je ressens la même tendresse pour les animaux de compagnie que pour les poissons, les lapins, les chevreuils ou les moutons. Il n’y a pas d’échelle de valeurs pour moi. Et il ne me viendrait pas à l’idée de tuer mon chat pour le passer à la casserole.

C’est par respect de la vie animale que j’ai eu besoin d’arrêter de les manger. Je suis tellement blessé par la façon dont les humains les ont avilis pour en faire de la marchandise, dont nous les enfermons dans les zoos, les cirques, les laboratoires, les aquariums, par la façon dont nous modifions génétiquement les poulets pour accélérer leur croissance ou leur aspect. Les chercheurs ont créé des poulets sans plumes, des bœufs déformés, des canards qui supportent mieux la chaleur pour mieux tolérer les conditions d’élevage. Choqué de voir des batteries de 10 000 poulets ou des fermes des mille vaches qui n’ont plus rien de la « ferme » mais qui sont bien « fermées “ par l’absence de fenêtres. Si c’est cela le progrès, alors, c’est un progrès que je ne suis pas. Einstein disait que si les abattoirs avaient des vitres, nous deviendrions tous végétariens.

Je ne visionne plus les vidéos de mes amis de L214 http://www.l214.com/. Elles sont trop violentes pour moi. Même si je reconnais que ce choc produit dans les mentalités a contribué en grande partie à ce que le public s’intéresse à la condition animale.

Je les ai regardées au début, jusqu’à en vomir ou jusqu’à en pleurer, tant je percevais la souffrance de ces animaux menés à l’abattoir. Nous devrions être capables de regarder ce que nous mangeons, et être capables de prendre conscience de notre responsabilité sur la terre dans notre façon de consommer d’une façon générale. J’ai arrêté de le faire, car cela renforçait mes jugements sur la nature humaine et fermait mon cœur. Ce que je ne souhaite pas. Je souhaite continuer à être un végan confiant dans la nature humaine.

Il y a d’autres raisons qui m’ont fait être vegan. Cela fait bientôt vingt ans que je ne mange plus d’animaux, et à peu près autant que je ne suis pas allé consulter un médecin et que je n’ai consommé le moindre médicament. Peut-être y a-t-il un lien de cause à effet ? Contrairement aux idées reçues, je n’ai pas moins d’énergie en mangeant des fruits, des légumes et des céréales, au contraire ! Je ne ressens plus cette fatigue que ressentait mon corps après un repas carné. Et je n’ai aucun manque de vitamines ou de protéines d’aucune sorte. Je suis pourtant très flexible et j’écoute surtout mon instinct.

Une récente étude de l’Université d’Oxford montre que si tous les habitants de notre planète adoptaient un régime végétarien, 7,3 millions de décès seraient évités, 8,1 millions si nous devenions végétaliens.

Les végétariens et l’écologie

L’écologie est aussi une raison suffisante qui m’a orienté vers ce mode d’alimentation. Il faut jusqu’à 10 kg de végétaux pour produire 1 kg d’animal.

La qualité de la viande a elle aussi été un argument. La viande aujourd’hui est tellement infestée d’antibiotiques et de toutes sortes de chimies que je préfère m’abstenir.

Les raisons sont si nombreuses, que, plutôt qu’un article, je pourrais écrire un livre sur le sujet. D’autres l’ont fait et bien fait, dont Mathieu Ricard et son excellent Plaidoyer pour les animaux.

Pour ma part, je crois que c’est à chacun de trouver, en conscience, le régime qui lui fait le plus de bien, en prenant le temps de se poser les bonnes questions. Nous n’avons pas tous la même constitution, la même conscience, la même congruence. C’est à chacun de faire au mieux et je n’ai aucun jugement sur personne, et surtout pas sur la façon dont chacun remplit son assiette. Nous sommes ce que nous mangeons.

Plutôt que de militer pour la cause animale, je préfère proposer des repas végétariens lors de mes stages et faire connaître à mes amis le Potager du marais, les Saveurs veget’halles, le Grenier de Notre-Dame, l’Abyssinia ou le Yuman tenu par mon ami Gilles Tessier, http://yuman-restaurant.com/, plus un restaurant éclairé qu’un restaurant végétarien, sa soupe butternut-poire, ses pâtes champignons-citronnelle et ses jus de fruits sont à tomber.

C’est ma façon à moi de militer pour la cause animale. Ce peuple trop souvent mal compris et qui pourtant nous enseigne et nous inspire.

Richard Buckminster Fuller écrivait ‘On ne change pas les choses en s’opposant à ce qui existe déjà. Pour que les choses changent, il faut construire un nouveau modèle qui rende l’ancien obsolète’. Je suis heureux de voir ici et là autant d’initiatives qui vont dans ce sens, dans le sens du respect de la vie, de la sensibilité, du goût et du partage.

Je vous souhaite de vivre votre assiette comme vous vivez votre vie, avec appétit !