Ayant beaucoup vécu à Paris, Notre-Dame a toujours été pour moi un repère, un lieu central, sécurisant, tellement familier, un endroit où j’ai plaisir à me promener, donner mes rendez-vous. Une cathédrale où j’adore méditer, me ressourcer et me rappeler combien j’aime sa ville pourtant si bruyante. Venir à Notre-Dame, c’est vibrer avec l’histoire de Paris, l’histoire de l’homme. C’est voyager entre les mondes, le passé et le présent, le réel et l’irréel. Alors, bien sûr, comme tant d’entre vous, mon cœur a été blessé d’apprendre son incendie.

Il n’y a peut-être aucun rapport, mais le matin même, la mairie de Paris annonçait qu’elle se décidait à nettoyer les quartiers nord de la capitale. Les Jeux olympiques approchent et Paris doit faire bonne figure. Le 18e arrondissement, Barbès, la Goutte d’Or devenant le centre de trop de trafics, de violence et d’incivilité, le premier adjoint à la mairie déclarait hier matin qu’il était prêt à « allumer les feux de l’enfer » pour reconquérir cette zone perdue. Cette intention m’a fait froid dans le dos. En lisant l’article hier, je trouvais cette expression bien inappropriée.

Pour les chamans, le monde extérieur est le reflet de notre monde intérieur. Nous attirons à nous ce en quoi nous croyons. La paix intérieure amène la paix dans le monde, le feu dans le cœur amène le feu dans nos temples.

Peut-être n’est-ce qu’une coïncidence, mais Notre-Dame de Paris brûle le premier jour de la Semaine sainte, précédée dimanche par les Rameaux. Dans la tradition catholique, ce jour est marqué par l’entrée de Jésus à Jérusalem. Il y apparaît monté sur une ânesse pour incarner ses intentions de paix, d’humilité et de sobriété.

Les tours de Notre-Dame nous permettent de regarder le ciel dans une attitude de respect et d’en écouter les signes. Et que disaient les étoiles ce jour-là ? Une amie astrologue me signalait la veille que Chiron (qui représente l’esprit du Christ) était conjoint à Vesta (le feu du temple) et que Neptune (la foi) était opposé à Nemesis (la ruine). Nous vivons chacun sous l’influence de la lune, du soleil et des astres. Bien sûr, cela ne sera qu’une coïncidence pour ceux qui se sentent coupés du ciel.

Alors, quel symbole comprendre dans cet incendie ? Quel enseignement en tirer ? La flèche s’effondre, la cathédrale s’embrase et l’autel et la croix sont miraculeusement épargnés le jour où le Christ entame le chemin de la Passion.

Le feu nettoie, purifie. Il nous apporte aussi l’élan de vie, l’enthousiasme. Le brasier nous donne la possibilité de transformer nos croyances, nos projections. C’est à nous de savoir ce que nous souhaitons soumettre au bûcher. Le feu brûle ce que nous lui offrons à brûler. À nous de comprendre ce qui peut nous faire grandir. Ce n’est jamais un événement qui nous blesse, mais la charge émotionnelle que nous y associons. C’est pour cette raison que nous méditons, pour ne pas nous laisser embarquer par l’inquiétude et la colère dans les moments où l’inconfort, le deuil, la peur viennent taper à la porte de notre temple intérieur.

La tristesse passée, chacun est libre de se lamenter sur l’œuvre d’art perdue et le monument historique qui ne sera plus jamais comme avant, ou bien de vivre cet événement comme une opportunité de revenir à l’essentiel. Le cœur, l’amour, la conscience, le sentiment d’unité.

Il est toujours difficile de laisser l’ancien, de passer à autre chose. Et pourtant, la chenille doit abandonner sa vieille gangue de soie pour faire l’expérience de sa légèreté de papillon. La période que nous vivons n’est pas une crise. C’est une mutation, une transformation. Parce que nous avons trop vécu en nous croyant coupés les uns des autres. Nous avons chacun la capacité de nous relier au meilleur de l’homme, au meilleur de nous. De réaliser tout ce qui est en notre pouvoir pour créer des ponts, créer des liens, recouvrer la paix. Alors les feux de l’enfer se transformeront en brasier ardent au cœur duquel nous retrouverons la foi, la joie et l’amour perdus.

Arnaud Riou
Mardi 16 avril 2019

Il y a 188 ans, Victor Hugo écrivait, et peut-être prophétisait-il :

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. »