Le 28 août 2016, François Fillion déclarait : « Imagine-t-on le Général de Gaulle être mis en examen ? » Puis : « J’ai toujours dit que je ne me présenterais pas à l’élection présidentielle si j’étais mis en examen ». Le 1er mars, il annonçait qu’il serait candidat et que rien ne l’arrêterait. « La France est plus grande que mes erreurs » sera le leitmotiv de cet homme politique.

Dans son sillon, nombre de ses alliés se désolidarisent devant les caméras pour finalement le rejoindre, quand d’autres, pourtant fidèles, en profitent pour s’éclipser. Cette habileté à dire une vérité un jour et son contraire le lendemain n’est bien sûr pas réservée au député de la Sarthe. Emmanuel Macron affirmait en 2014 : « Je suis socialiste et je l’assume, être socialiste est une nécessité de bâtisseur ». Pour déclarer devant les micros en août 2016 : « L’honnêteté m’oblige à dire que je ne suis pas socialiste. »

De droite comme de gauche, plus l’enjeu est important, plus il faut d’habileté pour plaire aux différentes figures de l’électorat.

La PNL, la synergologie et tous les spécialistes du comportement nous ont démontré déjà que l’impact de l’orateur est plus influent que le contenu de son discours. Autrement dit, peu importe le propos pourvu qu’on ait la stature. Tous les hommes politiques sont entraînés à l’art oratoire. Chacun s’y exerce avec plus ou moins de talent.

On utilise l’épiphore (répétition d’un mot ou d’un groupe de mots comme « Moi président ! »), la litote (qui consiste à dire moins pour signifier plus), la prosopopée (faire parler des êtres inanimés, comme dans « La France est plus grande que mes erreurs »), l’oxymore, l’injonction paradoxale (« Nous mettrons l’écologie au centre de nos préoccupations tout en développant une économie forte et compétitive »). Ces phrases rassurent, distraient, permettent de remporter l’approbation, elles manipulent aussi en fonction de l’honnêteté de l’orateur.

Cette évolution de la communication et de la parole est renforcée par les nouveaux médias, on tweete, on joue de l’image. Nombre de candidats utilisent cette technique qui consiste à occuper l’espace médiatique à coups de petites phrases provocatrices pour nuancer par la suite une fois la tribune acquise.

Dans ces retournements de veste continuels, quel est le poids alors de la parole donnée ?

Dans l’essentiel des traditions des peuples premiers, la parole est sacrée. Elle a plus de valeur que les écrits, car elle est portée par le souffle de la vie.

Dans les stages de communication que j’anime, je fais circuler le bâton de parole. Celui qui tient le bâton sacré parle avec son cœur. Avant d’ouvrir la bouche, il aligne ses trois centres, son corps, son cœur et son esprit. Puis il laisse sa vérité s’exprimer. Il sait que son point de vue sera accueilli, quel qu’il soit. Personne ne le jugera. Les personnes autour de lui ne lui coupent pas la parole. Elles écoutent son point de vue pour comprendre et ressentir qui il est. Même si nous ne sommes pas d’accord, même si nos opinions divergent, nous écoutons chacun avec le cœur pour permettre à celui qui ose la parole vraie de retrouver la fluidité du ruisseau. Plus il se sent écouté, plus il se détend et plus sa parole devient vraie, authentique, profonde. Plus il ose l’intimité, la vulnérabilité, mieux chacun se retrouve à travers lui. Il n’y a plus de divergence. Émerge alors une envie naturelle de créer avec et non de lutter contre.

Les Indiens, avant cette cérémonie du bâton de parole, font brûler la sauge avec laquelle ils purifient leur bouche et leurs oreilles pour pouvoir écouter l’autre sans jugement et lui parler avec le cœur.

La première qualité que renforce ce rituel est l’authenticité. On parle de congruence (alignement des actes et des paroles). Ce n’est plus la tête qui parle, ce ne sont pas les idées, les opinions. C’est l’être tout entier, organique, authentique, sensible, qui s’exprime sincèrement.

J’ai plusieurs fois fait tourner mon bâton de parole dans des conseils d’administration des grandes entreprises. Une fois passée la surprise provoquée par ce rituel, la parole vraie finissait toujours par s’exprimer, les conflits par s’adoucir et les solutions par émerger. Car les solutions naissent de la qualité du lien que les uns savent établir avec les autres et non des arguments, tout aussi pertinents soient-ils, que les uns veulent imposer aux autres.

L’écoute authentique et bienveillante de l’autre est un préalable à apprendre à parler vrai. C’est aussi un véritable travail sur soi.

C’est pourquoi les débats politiques, à l’assemblée ou à travers les médias, n’ont pas grande valeur à mes yeux. Ce ne sont trop souvent que des stratégies, des jeux d’ego et de pouvoir, des techniques de communication vides de cœur et plus ou moins bien assumées. Si, bien sûr, certains orateurs sortent du lot et partagent leur vérité en parlant avec le cœur ; si certains discours historiques traversent les siècles ; combien de paroles pour ne rien dire, combien de paroles creuses, combien de « langues noires » comme disent les chamans mongols.

Nous n’élèverons pas notre conscience politique en nous opposant les uns les autres à travers des arguments, des preuves, des chiffres pour faire basculer notre adversaire. Nous l’élèverons en prenant le temps de nous écouter pour construire à partir de ce qui nous rassemble. Nous l’élèverons à partir de la qualité du lien de cœur que nous saurons établir entre nous.

Je rends hommage à tous ceux qui ici et là s’aventurent déjà sur cette voie d’une communication bienveillante, constructive et non violente.

Je rends ici hommage aux hommes et femmes qui ont compris qu’il est plus difficile de se mettre en danger, de parler vrai et de construire avec, plutôt que de s’entêter à opposer la droite à la gauche, la France d’en haut et la France d’en bas, et qui s’élèvent en adoptant une parole vraie et digne.

C’estl’Université du Nous, la Communication non Violente, la Communication Connectée, les Colibris, les Zèbres, les Réseaux Citoyens de plus en plus nombreux, dans lesquels chacun reprend son pouvoir, le pouvoir de créer.

Je rends hommage à celles et ceux, en entreprises et dans la société civile, qui s’interrogent sur d’autres formes de modèles que notre démocratie actuelle (l’holacratie, la sociocratie).

La transformation personnelle est le moteur de la transformation sociale. Ce nouveau pouvoir avec les autres et sur soi et non plus contre les autres implique :

de nous connaître dans nos dimensions émotionnelle, psychologique et spirituelle pour mieux nous diriger ;

 de renouveler les pratiques démocratiques en questionnant le cadre actuel du pouvoir et ses défaillances ;

 d’interroger les fondements de la pratique managériale (règles, représentations, idéologie) à la recherche d’une participation plus juste de chacun.

C’est en communiquant avec soi, en apprenant à se connaître, à apaiser ses paradoxes, à dépasser ses propres peurs et à oser son véritable pouvoir, celui qui émane du cœur et de la conscience, que l’on contribuera à transformer l’art de vivre ensemble.